Il faisait noir, tout noir. Je ne comprenais pas où j'étais. Des rayons de soleil d'été me frappèrent les yeux, et m'obligèrent à les ouvrir. J'entendais des voix, mais je ne comprenais pas ce qu'elles disaient. Au-dessus de moi, un chat, penché, pour mieux me regarder. Un grand chat gris et blanc. Il avait l'air jeune, il devait être apprenti tout au plus. En voyant mes yeux ouverts, il commença à sautiller. J'arrivai enfin à déchiffrer ce qu'il s'écriait.
" Maman ! Maman, tu t'es réveillée ! "
Ce disant, le chat se jeta sur moi et me couvrit le visage de coups de langues vigoureux. Je ne comprenais pas. Qui était-il ? Et pourquoi m'appelait-il maman ? Je n'avais pas de fils. J'étais trop jeune. J'avais... j'avais... quinze lunes, je crois. Je le repoussai gentiment pour ne pas l'effrayer.
" Je... excuse-moi, qui es-tu ? Et pourquoi m'appelles-tu maman ? "
C'était peut-être un peu brusque, mais il fallait que je sache. Le visage du chat gris et blanc se décomposa. Il affichait désormais une mine inquiète.
" Mais... mais maman, c'est moi, Nuage d'Agneau. Ton fils. Tu ne me reconnais pas ? "
Mais qu'est-ce que c'était que ce rêve étrange ? Je n'avais pas de fils, et je ne connaissais personne qui portait le nom de Nuage d'Agneau. Qu'est-ce qu'il racontait. Je secouai la tête et essayai de me relever, mais c'est uniquement là que je me rendis compte que j'avais une atroce douleur au crâne. Je retombai au sol.
" Navrée, petit. Je n'ai pas de fils, je... je veux voir Ouragan Déchaîné. Ou... ou mon frère, tu peux le trouver ? Il s'appelle Queue de Lapin. S'il te plaît, petit, tu peux...
-Oui, oui. Chut, rendors-toi, tu es encore faible, dit doucement le jeune chat. Je vais trouver Ouragan Déchaîné ou Queue de Lapin.
-Merci. Tu es un brave petit " dis-je avant de sombrer de nouveau dans le monde des rêves.
***
Le soleil se couchait lorsque je me réveillai à nouveau. Le jeune chat n'était plus là. J'étais dans la tanière des guerriers du camp de l'Ombre. Alors c'était vraiment un rêve ? Mais lorsque j'essayai de me réveiller, la douleur lancinante au crâne me rappela que ce n'était pas un rêve. Une fois sur mes quatre pattes, à peu près stable, je remarquai que j'étais la seule dans la tanière. Il y avait bien l'odeur de Queue de Lapin, ce qui me rassura, mais l'odeur d'Ouragan Déchaîné n'était nulle part. Mais que ce passait-il ? Je sortis de la tanière, encore hébétée. Dehors, dans la clairière, les autres membres du Clan travaillaient, comme à leur habitude, mais aucun ne me remarqua. J'étais un fantôme ou quoi ? Il y avait de nouveaux guerriers. Je reconnus un chaton qui avait cinq lunes mais qui... avait extrêmement grandi. Il devait être guerrier, maintenant. Mais qu'est-ce que c'était ce foutoir ?! Je me dirigeai vers la tanière du chef, il saurait me renseigner. J'avais les pattes lourdes, on aurait dit que j'étais ivre. J'entrai dans la tanière discrètement. Il y avait là un grand félin que je ne connaissais pas - sûrement le chef - et le petit chat gris et blanc, Nuage d'Agneau. Ils étaient de profil, mais ne me regardaient pas. Ils parlaient. J'entendis un petit bout de la conversation :

" Elle demandait Ouragan Déchaîné et Queue de Lapin " dit Nuage d'Agneau.

Mon cœur se serra. Ils parlaient de moi. Le grand chat baissa la tête.

" Tu lui as dit qu'il était..., dit-il.
- Mort ? Non, ce serait trop... "

Je restai paralysée après cette phrase. Ouragan Déchaîné ? Mort ?! Mais non ! Il était en pleine forme ! Il se portait bien, il n'avait aucun problème de santé, il était un bon guerrier, il était vivant ! J'en étais convaincue ! Mais tous les indices concordaient... le fait que je n'aie pas senti son odeur dans la tanière des guerriers... des larmes coulèrent sur mes joues. Je voulus partir, partir loin, mais en tournant les talons, je fis un bruit qui fit se retourner les deux chats.

" Maman ? Tu...
-Pourquoi ne pas me l'avoir dit ?! Pourquoi ne pas m'avoir dit qu'il était mort ?! criai-je, les yeux emplis de larmes.
-Maman, essaye de te calmer...
-Que je me calme ?! répliquai-je, hystérique. J'apprends que mon compagnon est mort, que j'ai un fils et que je ne me souviens même plus de lui, et il faut que je me calme ?!
-Maman, calme-toi ! Tu as reçu un coup à la tête ! Tu as oublié les dix dernières lunes. Papa est mort, tué par une embuscade du Clan du Tonnerre.
-Pa... papa ? Alors tu... ? "


Je ne finis pas ma phrase, et m'élançai hors de la tanière, hors du camp, à toute vitesse. Je ne touchais presque pas la terre, j'avais l'impression de voler. Je me dirigeai à toute vitesse vers un arbre, n'importe lequel. Je voulais me prendre un coup à la tête, peut-être que ça me ferait me souvenir de tout ? C'était une idée stupide, et pourtant j'y crois.

Là ! Un arbre, droit devant ! J'entendis qu'on criait mon nom, enfin, il me semblait qu'il était toujours le même. Étais-je toujours Cerisier de la Plaine ? Je n'en savais rien. Je redoublai d'efforts et foncai sur l'arbre, tête baissée, lorsque, au lieu de me le prendre dans la figure... je le traversai.

Bouche-bée, je m'arrêtai brutalement et regardai derrière moi. J'avais bel et bien traversé l'arbre. J'étais passée... à travers ?! Mais non, c'était impossible ! Les chats ne travers
aient pas les arbres. Mais, poussée par la curiosité, je trottai jusqu'à un second arbre, non loin. Cette fois, plus timidement cette fois-ci, je m'approchai, et posai ma patte dessus. Rien, j'arrivai à m'appuyer dessus et je ne le traversai pas. Je soupirai. Je n'étais pas un fantôme, alors. Mais un doute subsistait en moi. Qu'est-ce qui s'était passé, alors ? Au bout de quelques instants, je marchai, la tête haute, vers l'arbre. Et là... je le traversai bel et bien. J'en étais toute retournée. Mais quel était ce monde étrange, où je pouvais traverser les arbres comme un fantôme, et où j'avais oublié dix lunes de ma vie ? Résignée, je rentrai au camp de l'Ombre. Là-bas, on m'expliqua que j'étais tombée sur une pierre et souffrais d'amnésie ; j'avais oubliée dix lunes de ma vie. Ces dix lunes comprenaient la naissance de mon fils, et la mort d'Ouragan Déchaîné... malheureusement, même après qu'on m'aie expliqué cela, je n'arrivais pas à aimer Nuage d'Agneau comme une mère devrait aimer son fils... je ne l'aimais que comme un apprenti quelconque. Nuage d'Agneau en était évidemment très triste et très vexé, mais ne le montrait pas... mais ça prouvait que j'étais bien sa mère, puisque j'arrivais à ressentir ses émotions même s'il ne me les racontaient pas.