Quelqu'un me secoue. C'est un geste brusque qui fait bouger tout mon corps. Mais malgré tout, dans ce geste ou la force n'est pas bien contrôlée sur la petite chose que je suis, je ressens une extrême douceur. Le contact léger de ce coussinet qui pourrait m'écraser et me briser, la caresse d'une queue bienveillante et rassurante. Tout en ces quelques gestes aspire l'amour et la chaleur. Sans ouvrir les yeux, dans la plus parfaite des confiances, dans le plus serein des sommeils, à l'aide de mon odorat je renifle vaguement ce qui m'entoure, à la recherche de lait. C'est lentement guidée vers les mamelles de ma génitrice, que je retrouve la paix et le calme, que mes petites pattes se mettent à pétrir son flanc doux et chaud, c'est tout tranquillement comme un chaton en paix sans aucune crainte ni préoccupation, que je me rendors repue...

J'ouvre lentement les paupières. Pour la toute première fois, depuis ma naissance. Je n'ai que de très vagues souvenirs de cette époque qui me semble lointaine. Je me vante déjà de ne plus être un bébé, mais de bien être devenue un chaton. Je fixe d'un air émerveillé mes pattes ébouriffées, pleines de brins verts. C'est un sourire aux babines que ma mère m'explique, que c'est de la mousse,  c'est souvent ce qui compose les litières. 

" Pourquoi ? "

" Parce que c'est doux et chaud, parce que ça ressemble à un nid d'oiseau. Parce que c'est confortable et chaleureux, parce que pendant ton sommeil, tu crois voleter sur un nuage, tu pense quelques secondes être devenu une créature du ciel. "

Je ne pose plus de question, suis satisfaite de l'enchanteresse réponse fournie par ma génitrice. Je lui adresse un regard admiratif, totalement envoûtée par ses sages paroles. Totalement émerveillée par ce récit des plus fantastique, servant juste à m'expliquer ce qu'était ces petites choses vertes entre mes minuscules griffes. C'est ainsi que toute chose devrait être apprise, non pas autrement.

CHAPITRE 01 
" Voie Lactée "


Assise devant un buisson épineux et fort bien gardé par de grosses ronces, je regarde droit devant moi. Je vois un semblant de campement. Rien de très construit, rien de très organisé, mais c'est au moins ça. Du moment que je peux dormir, manger, boire et jouer, le reste m'importe peu. Oui, on peut me regarder comme si j'étais une moins que rien, on peut même m'insulter tout cela, j'ai l'habitude... Ma mère solitaire, venue rejoindre ce qui s'apparente à un " clan " pour me mettre au monde. Parfois je la déteste, c'est de sa faute si je n'ai pas d'amis. Si elle était née ici, j'aurais été comme les autres, peut-être même que j'aurais été hypocrite et que je me serais moquée d'un petit chaton n'ayant pas le bon code génétique. Mais en vouloir à ma mère, c'est bien injuste, et je le sais. Je me maudis de ressentir ainsi colère et tristesse, alors qu'elle est venue ici, dans l'espoir de vivre mieux et de pouvoir m'offrir quelque chose. Toute droite, tremblante mais fière d'être ce que je suis, d'être née ailleurs et d'avoir une maman qui sait plus de choses que les autres. Elle sait plus de choses, tellement plus. Elle a vécu bien plus de choses qu'un simple chat de clan. Chatte domestique abandonnée, solitaire maltraitée et renvoyée, compagne abandonnée, mère courageuse et vaillante, oui je suis fière de ma mère. Elle a tout traversé. Elle est tombée, oui souvent tombée. Elle s'est souvent faîte blessée, à souvent désespéré de trouver un jour sa place, mais elle s'est toujours relevée vaillamment, elle est toujours partie vers l'avant n'a jamais cessé de marcher même dans le noir le plus complet.C'est comme ma maman, que je désire devenir !

Je perçois un léger craquement dans mon dos. Je reconnais ce bruit de pas, je sais qui va dans quelques instants se trouver à mes côtés. Je tourne la tête, pour apercevoir la fine silhouette à la fourrure noire et lustrée de ma maman. Elle m'adresse un beau sourire, me demande d'une voix douce presque en chuchotant :

" Il est tard Patte Boréale, que fais-tu au beau milieu de la nuit, toute seule ? "

Bon chaton que je suis, je ne sais évidemment pas chuchoter. Alors je lui réponds les yeux pétillants de malice, presque en criant ma joie de la revoir alors que je viens tout juste de quitter notre nid de chaleur étouffante.

" Je veux que tu m'explique encore ! Parle moi encore du monde dans lequel nous vivons, parle de moi de ce que tu as vu et entendu. Parle moi de choses nouvelles, je veux apprendre tout ce que tu as appris,  je veux être au moins aussi intelligente et sage que toi, parle moi encore, s'il te plait ! "

Elle me sourit plus encore, avec une expression des plus attendries. Elle s'approche lentement et gracieusement, s'allonge près de moi en enroulant sa queue contre son flanc en spirale. Je demeure assise, la regardant, impatiente, une terrible soif d'apprendre m'assaillant. Elle lève la truffe vers le ciel, le fixe avec sérénité, comme si elle le découvrait pour la toute première fois. Je lève aussi les yeux, surprise, curieuse de voir ce qu'elle peut bien lui trouver alors qu'il est toujours identique, alors que jamais rien ne change sauf la position des nuages.

" Sais-tu ce que sont les étoiles ? "

Je secoue négativement la tête, avant de me souvenir qu'elle ne me regarde pas, qu'elle ne doit pas avoir vu mon mouvement, alors je lui réponds simplement.

" Pas exactement. Mais les autres chatons disent que ce sont des ancêtres, les ancêtres des chats vivants dans les clans qui veillent sur eux... Que quand on meurt, on va là-haut... Ils m'ont aussi dit, que toi et moi, on y avait pas notre place ... "

Mon cœur se serre. Je n'aurai de place nulle part, même pas pour le repos éternel, maman non plus... Mais ce ne sont que des dires de chatons, je ne me souviens plus pourquoi, j'y avais prêté tant d'importance.

" Les crois-tu ? "

Je cligne des paupières, surprise.

" Comment ? "

Elle reprend, plus lentement.

" En qui as-tu confiance ? En toi même, ou en ce que te racontent des créatures désirant t'influencer ? Que sont-elles pour toi ? "

" Je... selon moi, ce sont juste de petites lumières dans le ciel. Rien de plus, rien de moins, ce sont juste les félins ayant besoin de croire en un guide céleste tout puissant capable de tout voir, qui leur ont insufflés la vie. "

Elle ne répond pas tout de suite, semble peser le pour et le contre, semble réfléchir à ce qu'elle va me répondre. 

" Pour les chats domestiques, les étoiles n'existent pas. Enfermés dans de chauds nids de Bipèdes couverts, ils ne voient jamais le ciel. Dans leur jardins, ils ne lèvent jamais la tête. Parce que tout ce qu'ils désirent, se trouvent en bas. Pour les solitaires, pour la solitaire que je suis, tout ce dont je rêve se trouve dans les étoiles. Je vis le nez vers la lune et le soleil, l'esprit libre mais le corps enchaîné. Pour les claneux, c'est un entre deux parfait. Entre spiritualité et réel. A la recherche d'amour mais aussi de sagesse. A la recherche d'une voie, deux chemins opposés qui se croisent à multiples reprises. Les étoiles vois-tu, selon la perception du monde, selon les besoins et les envies d'un vivant, n'ont pas le même rôle. Tu peux croire en ce que tu désire, tu ne dois jamais te laisser écraser. La seule chose qui t'appartiendra toujours, c'est bien ta pensée. "

Sur le moment, je n'ai pas compris. J'aurais aimé comprendre avant, mais désormais, c'est trop tard. Et revenir dans le passé; ce n'est qu'une douce illusion impossible à réaliser, et même si je le pouvais, je ne pense pas que j'aurais pu inverser le cours de choses. Le Destin, agit comme bon lui semble.

CHAPITRE 02 
" Pluie Pourpre "


C'est rouge, c'est sale, ça me souille. Ça ne ressemble plus à rien, ce n'est plus quelque chose de vivant, juste du hachis. Le sang qui sèche et qui colle mes poils, ce n'est pas le mien. Ce n'est pas moi, qui l'ais fait coulé... Ce n'est pas moi, qui ai tué Nuit Cristalline... qui ais tué Maman... Je fixe ce qui reste d'elle les yeux écarquillés. Qui ? Pourquoi ? Elle a souffert, avant de partir ? Oui, ça se voit, il y a du sang partout...partout. On m'a enlevé, la seule chose que j'aimais en ce monde. Le vert des arbres est ternit, perd doucement ses couleurs, le monde devient gris. Je n'ai jamais rien aimé, jamais rien regardé si ce n'est pour lui faire plaisir. Je ne me suis jamais intéressée aux étoiles, parce que tout ce dont j'avais besoin, c'était elle. Et maintenant que je l'aie perdue, que... dois-je faire ? De nombreuses larmes coulent, pas un seul bruit ne sort de ma gorge sèche et serrée. Je ne peux pas reculer, pas avancer, pas fermer les yeux. Je m'effondre, tout ce en quoi je croyais vient de disparaitre, je n'ai plus rien à quoi me raccrocher, je me noie... La solitude emplis mon cœur, les ténèbres saisissent mon cœur... J'ai été détruite en quelques secondes, alors qu'il lui avait fallut plusieurs lunes pour me construire... Quelle faiblesse.
Toi qui étais si noble, tu es morte de la pire des façons, pour la pire des raisons, les vivants me dégoûtent plus que les morts...

Je l'avais par la suite enterrée, avait recouvert le trou de mousse avant d'y installer ce qu'il restait d'elle à peine identifiable. Personne ne l'avait pleurée. Personne n'avait fait comme si elle existait, tous l'avaient oubliée, et plus encore j'étais victime de discriminations diverses et de maltraitances, parce que je n'avais cette fois, pas de Maman... Mais il faut se faire une raison, c'est juste parce que l'on ne m'aimait pas, et ça, je ne l'avais compris que très tard.

"Je suis la mort vengeresse, de mes griffes j'apporte repos éternel"